RENCONTRE AVEC MADAME FARA RAMAROSAONA, IMPLIQUEE DANS LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION (LCC).

RENCONTRE AVEC MADAME FARA RAMAROSAONA, IMPLIQUEE DANS LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION (LCC).

Engagée dans la société civile, depuis un peu plus de 20 ans, Fara Ramarosaona est Directeur exécutif de l’ONG HITSY dont l’activité est principalement axée sur la promotion de la gouvernance, à savoir la transparence, la redevabilité et la lutte contre la corruption. Elle partage sa perception sur la prise de décision de l’Etat concernant les aides sociales procurées pendant la période de crise sanitaire engendrée par la Covid-19.

Quelle est votre lecture de la mise en place des Comités Loharano au niveau du fokontany ?

Les autorités ont parlé de créer les Comités Loharano dès la survenance de la pandémie en avril 2020. Effectivement, ils ont à peine fonctionné. En même temps, il existait déjà des structures qui auraient pu servir dans l’implication des citoyens.

De quelles structures parlez-vous ?

Dans sa déclaration du 19 Avril dernier, le Mouvement ROHY a déclaré, « Le Comité Loharano doit capitaliser et intégrer les acquis dans les Fokontany et les communes comme les SLC (Structure Locale de Concertation) et les COSAN (Comité de santé), COGE (Comité de Gestion des pharmacies communautaires), CCDS (Comité de Coordination du Développement sanitaire) afin de devenir un levier de mobilisation et d’innovation locale. Que le Comité Loharano ne soit pas un top-down de plus dans l’identification de ses membres et/ou de son organisation de travail. Qu’il soit l’émanation de la prise de responsabilités collective à la base duquel, les élus locaux et responsables des CTD (Maires et Conseils communaux/municipaux) soient dotés de pouvoir de décision et de moyens pour assurer leurs rôles de leader et d’administrateur de territoire, premiers responsables des services répondant aux besoins des communautés locales. Les institutions de contrôles (Préfets/Chefs districts, Députés, etc.) doivent rester dans leurs fonctions de contrôles. » À ma connaissance, les Comités Loharano n’ont pas été mis en œuvre, au vu des informations publiques. J’ai été invitée à participer à la réunion du Comité Loharano dans mon Fokontany, un jour du Mois d’Avril 2020, et il n’y a pas eu de suite.

L’Etat s’est lancé dans la distribution des aides directes comme le Tosika Fameno, le Vatsy Tsinjo et le Sosialim-bahoaka, qu’en pensez-vous ?

J’estime que les autorités sont louables d’avoir instauré les différentes aides destinées aux ménages. Les responsables ministériels et institutionnels ont répondu à nos questions de manière claire. Mais la stratégie méritait d’être mieux pensée.

C’est-à-dire …

Les aides devraient être pérennes, sur un horizon qui aurait été défini dans un équilibre entre le budget de l’Etat, sur la base d’une optique prioritaire et le temps que la pandémie sévit, en supposant que la durée est connue. La stratégie devait être caractérisée par l’inclusivité de tout le pays et couvrir les catégories de personnes qui étaient pauvres avant, et celles qui sont devenues vulnérables à cause de la pandémie. Ces dépenses devraient être incluses dans le budget de l’Etat en 2021 et à ma connaissance, les calculs ne devraient pas être vraiment difficiles à faire.

La société civile a- t-elle réagi par rapport à cette stratégie mise en place par l’Etat ?

Le Mouvement ROHY, dans la même déclaration du 19 avril dernier, appelait à une effectivité, une équité de la prise en charge et une protection sociale des vulnérables. « La prise en charge et protection sociale des vulnérables sont parmi les priorités indéniables. Cependant, l’identification et enregistrement des bénéficiaires de cash, ainsi que les distributions d’aides et de vivres en temps d’urgence doivent être bien organisés pour minimiser les irrégularités comme le favoritisme, le détournement et corruption, le manque de protection, etc. D’ailleurs, outre le BNGRC, les contributions/expertises des Organisations et Institutions aussi bien nationales (SAF/FJKM, SMT/FLM, etc.) qu’internationales devront être mobilisées. Outre la transparence et le compte-rendu public des informations et procédures, des mécanismes de suivis par les citoyens et OSC de l’effectivité des opérations sont à mettre en place à multi-niveaux, de la passation des Marchés Publics au niveau national jusqu’aux actions des Comités Loharano dans les Fokontany et quartiers ».

Cela aurait dû être pris en compte tout au long de la fourniture des aides.

Pourtant la distribution du Tosika Fameno, Vatsy Tsinjo et Sosialim-bahoaka a été faite. Les aides ont touché Antananarivo, Toamasina, Fianarantsoa avec un certain nombre de bénéficiaires. L’Etat n’a-t-il pas réagi à temps ?

Certes, les trois régions où se trouvent ces zones ont été touchées par la pandémie plus que les autres régions qui sont venues après et qui n’ont pas été concernées. De plus, maintenant que la crise sanitaire va se ressentir dans la durée, pourquoi ne pas prévoir des aides aux nouveaux vulnérables, ainsi que les anciens, comme je l’ai dit plus haut?

D’après-vous, quelles étaient les failles dans l’organisation qui pouvaient en être les facteurs?

Nous avons assisté à une espèce de désordre et de tâtonnements, quelque part liés aux défaillances de leadership au sommet. Citons par exemple, devant les plaintes des citoyens vulnérables ayant été exclus des aides, le Président de la République informait à brûle-pourpoint que tous les citoyens sans exception toucheraient les aides, pour ensuite affecter les ministres à faire le recensement avec leurs équipes sur Antananarivo en fin août 2020. C’était une mesure étrange, dont on n’a pas vu la suite et les impacts, sur le plan de l’éthique et de la sauvegarde de l’intégrité comme la transparence, qui est source de confiance entrainant des occasions de corruption (procédures et ressources humaines, bénéficiaires).

À votre avis, qu’est ce qui devait être fait ?

Sur le plan de la préservation de l’intégrité, gérer c’est prévoir, de même pour la corruption. Il aurait fallu identifier et anticiper les occasions de corruption d’avance, car nous sommes tous des êtres humains, plus ou moins dans une situation de vulnérabilité, donc soumis aux tentations.

Dans la gestion des aides, dans une communication visant la transparence, il aurait été approprié de définir les décisions et mesures organisationnelles en anticipant les occasions de corruption qui pouvaient y survenir, sachant que les ressources humaines qui y travaillent incluent les autorités au sommet, l’administration centrale et décentralisée, le personnel sur le terrain : cadres et personnel d’appui qui gèrent les ressources dans la base de données, les distributeurs directs comme les Chefs Fokontany et d’autres. Il aurait été souhaitable que le BIANCO, entité indépendante, et une ou des institutions de contrôle des finances publiques, auditent ce système d’aides sur toute la chaîne englobant les mesures et ressources humaines.

Pouvez-vous expliquer ?

Exemple : décider de laisser les Chefs de Fokontany organiser les distributions de manière inclusive impliquait de voir l’institution ou le Ministère de définir d’avance les mesures à prendre et de mettre des ressources humaines compétentes et intègres, les former et les accompagner.

Que pensez du cas de détournement (ou corruption) dénoncé pendant et après la distribution du Tosika Fameno dans certains fokontany ?

Ce qui a été constaté dans la presse audiovisuelle, il y a eu beaucoup de plaintes de la part de la population cible sur le népotisme de certains Chefs Fokontany et Maires. Il faut prévenir la corruption du côté de la demande d’aides : les bénéficiaires effectifs et potentiels.

Quels sont les points à améliorer?

Il faut d’abord définir les personnes vulnérables : est-ce que ce sont les personnes seulement formelles, c’est à dire ayant un carnet de Fokontany ou les autres aussi ? Il aurait été nécessaire d’anticiper toutes fraudes et astuces pour bénéficier des aides : nous avons vu des citoyens, dans leur Fokontany, qui ne se préoccupaient jamais de leurs obligations, vis-à-vis de ce dernier, avant la pandémie, se procurer rapidement un carnet de Fokontany, créé de toutes pièces ou fourni par le Fokontany même de manière inopinée (peu claire parfois) .Nous savons qu’en aval, le BIANCO a reçu les dénonciations et doléances concernant les dérives des aides, et ont entrepris des investigations .

Que pensez-vous de la gestion des aides ?

Il y a eu une mauvaise préparation technique dans cette gestion des aides au vu du désordre. Il est malheureux aussi que ces dernières ne soient pas poursuivies en tirant des leçons, car les personnes vulnérables ont certainement augmenté et doivent être aidées pour alléger leur détresse matérielle, éviter qu’elles ne meurent de faim au pire. Le Gouvernement doit anticiper cela, par compassion déjà car un être humain qui meurt de faim est de trop et nous interpelle toutes et tous ! Le Budget de l’Etat (Loi des Finances Initiale 2021) est là pour cela, est-ce que la prise en charge des pauvres liées à la Covid-19 y est considérée ? Sur le plan éthique, la corruption se doit d’être anticipée aussi bien dans l’offre, organisation et ressources humaines, que dans la demande : les citoyens qui font des faux papiers ou qui soudoient les autorités locales (Maires, Chef Fokontany et leurs équipes) et/ou profitent de leurs liens familiaux pour bénéficier indûment des aides. Ils prennent ce qui devrait être dévolu à d’autres.

Votre mot de la fin

Pour ma part, je souhaite que les dirigeants montrent une réelle compassion vis-à-vis de la population vulnérable actuelle, car la compassion est un moteur qui engendre la recherche de l’efficacité et la satisfaction du service rendu. N’y-a-t-il pas plus grande récompense ? Et est-ce le cas actuellement ?

En 1998, Fara Ramarosaona a fait partie du Komity Miady amin’ny Tsi-Fahamarinana sy ny Fahalovana de la FJKM (FJKM/KFIP).

Ce comité a été paradoxalement mis en veille quand M. Ravalomanana a été Vice-Président de la FJKM, alors qu’en tant que Président de Madagascar, il a créé les Institutions de Lutte contre la corruption comme le CSI, BIANCO, SAMIFIN, Chaînes Pénales Anti-Corruption.

En 2005, Fara Ramarosaona a co-fondé l’association OPTA (Olompirenena Tompon’Andraikitra) dont les activités étaient axées sur la promotion de la redevabilité, par la défense des droits des usagers. La lutte contre la corruption a été une des activités et a œuvré dans les services publics, l’établissement d’un plan triennal de LCC par la société civile (2016-2017), et dans le Projet FANDIO dont un des axes était de lutter contre les mauvaises pratiques électorales.

En Juillet 2019, elle a co-fondé l’ONG HITSY avec d’autres acteurs jeunes.

Elle coordonne la LCC au sein du Mouvement de la société civile ROHY (créé en juillet 2015)

qui regroupe des organisations de la société civile dans les 22 régions qui travaillent dans tous les secteurs de développement dont la santé, éducation, environnement et gestion des ressources durables, équité du genre, économie, agriculture, foncier, infrastructures, décentralisation, gouvernance (élections, transparence des finances publiques, lutte contre la corruption / transparence et redevabilité, suivi des Marchés Publics, ), les droits humains, …

-Myoura H.

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