Les plus vulnérables paient le prix de la corruption dans la distribution des aides de l’Etat

Les plus vulnérables paient le prix de la corruption dans la distribution des aides de l’Etat

Une enveloppe de 4 milliards Ariary a été consacrée par le gouvernement pour pallier aux impacts sociaux de la covid19 dans la région Matsiatra Ambony, parmi les plus durement touchées par la pandémie. De passage à Fianarantsoa le 6 août 2020, le président de la République a ordonné aux responsables locaux de procéder à la révision de la liste des bénéficiaires des aides de l’État au niveau des fokontany. Ces aides, Tosika Fameno et Vatsy Tsinjo, sont censées être gratuites et distribuées prioritairement aux plus vulnérables. La réalité est toute autre.

Les districts de Lalangina et de Fianarantsoa ont bénéficié des aides de l’État, à cause de la covid19.

35 000 familles bénéficiaires ont été répertoriées lors de la première vague d’aides, sur les 189 400 familles parmi les plus touchées dans toute l’île. 25% des bénéficiaires des aides de l’État vivent à Matsiatra Ambony et dans l’Atsinanana. Des critères ont été initialement posés pour identifier ces bénéficiaires, selon les recommandations de l’Administration et des bailleurs de fonds tels que la Banque mondiale. Les familles vulnérables, les employés en chômage technique, licenciés et ayant perdu leur source de revenus à cause du confinement sont prioritaires.

Au cours de la première vague de distribution du Tosika Fameno,

13 405 personnes de la commune urbaine de Fianarantsoa ont reçu leurs parts et 8 009 dans le district de Lalangina. Au cours de la deuxième vague, les bénéficiaires de Fianarantsoa sont réduits à 6 889, et ceux de Lalangina revus à la hausse : 8 931. Il y a donc un certain nombre de doublons dans la liste : certaines personnes ont eu à la fois le Vatsy Tsinjo et le Tosika Fameno. Des falsifications de carnets de fokontany ont aussi permis d’obtenir frauduleusement des aides. 15 000 plaintes ont été reçues auprès du Fonds d’Intervention pour le Développement (FID), dont 3 000 ont été jugées recevables. Le Directeur régional du FID, Rakotondranaivo Yvon, explique : “La plupart des plaintes viennent de personnes licenciées et vulnérables, mais qui n’ont pas reçu ces aides».

La commune de Mahatsinjony, dans le district de Lalangina, illustre le problème : sur les 16 000 habitants, 350 d’entre eux ont reçu le Vatsy Tsinjo et 896, le Tosika Fameno. Les bénéficiaires du Tosika Fameno ont été taxés entre 2 000 et 8 000 Ariary. Ce montant s’élevait à 5 000 Ariary par homme et 2 000 Ariary par femme, lors de la première vague de distribution. La somme est payée auprès du comité du fokontany, qui à son tour verse la recette auprès de la commune. Elle peut aussi être directement payée auprès du maire de la commune. Aucun reçu n’est délivré pour ces paiements selon les témoignages recueillis : seul le carnet est tamponné. Cette contribution «n’est pas obligatoire» dit-on du côté de la commune, or «ceux qui n’ont pas payé sont rayés de la liste des bénéficiaires des prochaines aides” selon Mara, une mère de famille du fokontany de Ranoroahina. Elle fait partie de ceux qui n’ont pas accepté de monnayer l’accès aux aides de l’État.

Financer les vivres pour la nourriture des forces de l’ordre

Le maire de Mahatsinjony, Nohariantsambatra Tolojanahary Gabriel explique que cette somme de 8 000 Ar prélevée est “Utilisée pour financer les vivres des forces de l’ordre pendant quatre ans. Auparavant, cette contribution était de 2 000 Ariary par an. Mais je réfute tout prélèvement d’argent auprès de la population lors de la distribution de la première vague d’aides». Cependant, le maire de Mahatsinjony a refusé de publier la liste et le nombre des personnes qui ont payé cette «contribution à la restauration». D’autre part, les témoignages des habitants de Mahatsinjony diffèrent de ces explications officielles. Un habitant de Mahatsinjony explique : «Ce sont les jeunes hommes du village qui en assurent la sécurité. Nous formons des groupes de sept, chaque groupe est composé de onze hommes qui se relaient pour sécuriser le village et assurer la paix des habitants. Nous nous prenons en charge nous-mêmes, sans l’aide de personne. Les hommes valides de 16 à 55 ans et qui ne sont pas retenus par l’école ou leur formation participent à ce gardiennage de nos maisons. Les forces de l’ordre viennent parfois faire un contrôle». Enfin, le maire de la commune voisine d’Androy, a déclaré que c’est son village qui à ce jour, prend en charge l’achat des victuailles pour les forces de l’ordre de leur localité.

Les ménages en total confinement ont été oubliés

Du côté d’Ambalavao Atsimo, en particulier dans fokontany Talatan’Iboaka, commune d’Alakamisy Ambohimaha, où les premiers cas de covid 19 ont été enregistrés dans la Haute Matsiatra, 52 ménages ont dû se plier à un confinement total pendant un mois et demi. Des gendarmes montaient la garde pour les dissuader de sortir ou de faire rentrer d’autres personnes. “Nos activités ont été mises en arrêt, le commerce est en suspens, nos récoltes dans les champs ont été dérobées, nos modestes élevages ont été décimés. Et pourtant, à peine 30 maisons ont obtenues le Tosika Fameno. Deux fois, nous avons reçus 12 kapoaka de riz, des grains secs, six savons, un litre d’huile et une bouteille de CVO. Comment s’en sortir pendant un mois et demi? Quand la deuxième vague de distribution a été organisée, nous n’avons toujours pas reçu notre part», se plaint une mère de famille qui a subi le confinement total.

Un témoignage que corrobore le Pasteur Philibert qui vit à Talatan’Iboaka : « Je connais dix familles confinées qui n’ont eu ni Tosika Fameno, ni Vatsy Tsinjo ». Le chef fokontany Rakotondriasambatra Jean Michel renforce : “ Il y a 700 ménages à Talatan’Iboaka. 300 ménages ont reçu des aides, mais les 52 qui ont été totalement confinées n’ont pas eu cette chance.»

De faux carnets de fokontany

Autre source de manipulation de la liste des bénéficiaires des aides de l’Etat : les carnets. Ambalambositra, dans le district de Fianarantsoa illustre bien le cas. Les 1 200 habitants sont regroupés en 260 ménages : 71 de ces derniers ont reçus le Tosika Fameno, et 203, le Vatsy Tsinjo. Un nouveau carnet a été conçu et le président du fokontany Rakotondravalo Fidèle Rodin et les chefs des cinq arrondissements ont organisé le dispacth de ces nouveaux carnets. Chaque personne a payé 2 000 Ariary pour avoir accès au document, témoignent plusieurs personnes d’Ambalambositra. « Certains carnets n’ont pas été contrôlés. C’est l’adjoint au fokontany qui s’en est chargé et je ne m’en suis rendu compte que lorsque tout le monde a eu son carnet » selon les explications du chef de fokontany Rakotondravalo Fidèle Rodin. « Ainsi, des personnes sont en possession de plusieurs carnets pour une seule famille. A Reandromy et Ambalambositra, on a vu 13 carnets doublons. Nous avons rectifié ces erreurs lors de la deuxième distribution d’aides. En ce qui concerne les 2 000 Ariary réclamés aux habitants, c’est pour financer la construction d’un bureau de fokontany. Nous n’avons pas de local et c’est ma maison qu’on utilise comme bureau » selon toujours le chef de fokontany Rakotondravalo. Ces carnets doublons ont été découverts dans d’autres fokontany et comme ce fut le cas à Ankazobe, le FID a organisé des enquêtes locales pour dissiper les doutes. Pour avoir plusieurs aides par famille, les gens montent des scénarios. « Par exemple, certains prétendent n’avoir pas de travail ou ne pas être mariés. Ils s’emmêlent les pinceaux plus tard, en évoquant leurs enfants en commun et on finit par trouver les doublons » selon un responsable au sein du FID.

Toujours est-il que pour les plus démunis, ceux que les mesures drastiques du confinement ont ruinés, le problème de la subsistance au quotidien est un éternel point d’interrogation. Durement frappés par les conséquences économiques de la crise sanitaire, ils se retrouvent aussi à la merci de l’inquiétude des représailles. Beaucoup disent vivre une injustice liée à la petite corruption qui gangrène le moindre droit, mais très peu osent témoigner ouvertement « pour préserver le vivre-ensemble ».

La Haute Matsiatra face à la covid 19

© Agence Malagasy de Presse – Perle R.

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