LE TOSIKA FAMENO

LE TOSIKA FAMENO

Le projet STEF-COVID a mis en œuvre une première enquête au sein de la capitale, en vue d’évaluer le ciblage des bénéficiaires, la transparence et les impacts du tosika fameno sur les bénéficiaires. Ces enquêtes consistent en une enquête téléphonique auprès de près de 2349 bénéficiaires du Tosika Fameno dans les 6 arrondissements de la capitale. Par ailleurs des enquêtes de suivi et des observations au niveau fokontany (FKT) réalisées par les observateurs bénévoles rendent compte des réalités vécues dans les différents FKT.

Des bénéficiaires effectivement vulnérables,

Dans la majorité des cas, les inscriptions préalables en vue de bénéficier du tosika fameno se sont bien déroulées dans les différents fokontany. Les bénéficiaires potentiels passent un entretien avec des agents de partenaires tels que le FID et le PAM. Ces entretiens sont effectués en vue d’évaluer le degré de vulnérabilité des personnes enquêtées. Le résultat de ces entretiens débouche sur l’établissement des listes de bénéficiaires, au niveau des différents fokontany.

D’après nos enquêtes, l’écrasante majorité (plus 95%) des ménages bénéficiaires de Tosika Fameno à Antananarivo ont entre 3 à 8 facteurs de vulnérabilité. Près de la moitié des bénéficiaires cumulent 5 ou 6 facteurs de vulnérabilité. On peut donc penser que le schéma de ciblage des bénéficiaires a permis d’identifier des personnes effectivement vulnérables.

Ainsi, la proportion des ménages bénéficiaires du tosika fameno (TF) dirigés par une femme est légèrement plus importante (26%) que la moyenne nationale pour le milieu urbain (22,7% d’après EPM 2010, INSTAT). La plus grande proportion est observée dans le troisième arrondissement avec 30,9% des ménages dont le chef de ménage est une femme.

La taille moyenne des ménages bénéficiaires (4,5) est supérieure à la moyenne pour la région Analamanga (3,9 en milieu urbain, d’après INSTAT, RGPH 2019). La moitié des ménages de l’échantillon a plus de 4 membres, tandis que 25% des ménages ont 7 membres ou plus.

D’après notre enquête, près du tiers des chefs de ménages bénéficiaires n’ont pas d’emploi. En effet, la pandémie du covid-19 a assurément aggravé la situation de l’emploi à Madagascar. D’après une enquête du ministère du travail et de l’emploi (MTEFPLS) en date de mai 2020, 90% des entreprises enquêtées ont déclaré être durement affectées par la crise. 36% des entreprises ont déclaré avoir procédé au chômage technique et 31% des travailleurs ont été mis en chômage technique.

L’autre caractéristique de l’emploi à Madagascar est l’importance du secteur informel qui pour la moitié des ménages malagasy représente une partie ou la totalité des sources de revenu. A cause de tous ces facteurs, la baisse ou la perte de revenu concerne une écrasante majorité des bénéficiaires du TF (plus 87%). De même, la quasi-totalité des ménages (93%) bénéficiaires gagnent moins de 15.000 ariary par jour (soit 3,3 euros /jour/ménages) traduisant la situation de précarité et de pauvreté des ménages bénéficiaires.

La vente de biens du ménage ou décapitalisation pour amortir les effets négatifs apportés par la crise est un autre indicateur de vulnérabilité. Près de la moitié des ménages (49,5%) ont dû procéder à de telles pratiques. D’après les observations sur terrain, des cas extrêmes de ménages ayant vendu des marmites et des assiettes ont été observés.

S’agissant du travail des enfants (5 à 17 ans), il apparaît que la proportion de ménages avec des enfants qui font un travail rémunéré (18,5%) est plus faible que la proportion moyenne pour le milieu urbain (32%). Au regard du critère du travail des enfants, les bénéficiaires du TF ne font pas tous partie de la fraction la plus vulnérable.

La proportion de ménages bénéficiaires qui sont locataires de leur maison (62,2%) est largement supérieure à la moyenne pour le milieu urbain (20,6% d’après les chiffres de l’INSTAT/ EPM 2010). En ces temps de crise, le fait d’être locataires constitue pour les ménages les plus pauvres un facteur de vulnérabilité supplémentaire.

Ne pas avoir de protection sociale est un facteur de précarité qui affecte la quasi-totalité des ménages du secteur informel. Dans notre échantillon de bénéficiaires TF, la proportion de ménages non affiliés à la CNAPS concerne plus de 9 ménages sur 10.

Si près de 75% des ménages d’Analamanga ont des murs en dur (d’après INSTAT, EPM 2010), ce taux est plus faible chez les bénéficiaires du TF (54,4%). En revanche, la proportion de ménages bénéficiaires du TF qui ont des murs en terre battue est plus élevée (32,7%) que la moyenne pour Analamanga (20,2%).

L’accès à l’eau potable est élevé pour les bénéficiaires du TF (plus de 9 ménages sur 10 ont accès à un branchement JIRAMA). A titre de comparaison, le taux d’accès à l’eau potable est de 70% en milieu urbain, selon INSTAT / EPM 2010. La relative précarité des bénéficiaires du TF s’observe à travers la grande majorité des bénéficiaires (près de 85 %) qui utilisent les branchements publics d’eau comme source d’eau de boisson, engendrant des charges plus élevées en termes d’argent dépensé et de temps de collectes.

Les sources d’éclairage utilisées par les ménages bénéficiaires sont à près de 9 ménages sur 10, de l’électricité fournie par la JIRAMA ou d’autres sources d’électricité, comme les plaques solaires. Sur ce critère de la source d’éclairage, les bénéficiaires du TF sont même mieux lotis que la moyenne (40% des ménages d’Analamanga et 39,1% des résidents en milieu urbain ont l’électricité pour source d’éclairage, d’après INSTAT, EPM 2010).

Évaluation du ciblage des bénéficiaires, de la transparence et des impacts sur les bénéficiaires

© Afp

Globalement, on peut considérer le ciblage des bénéficiaires du TF comme pertinent. Il existe néanmoins des cas, bien que minoritaires, de bénéficiaires perçus par nos observateurs comme ne faisant pas partie des plus vulnérables. Ainsi, les observateurs sur terrain ont témoigné des cas de personnes venues en moto ou en véhicule pour aller récupérer le tosika fameno (TF) dans 43% des FKT observés. Ceci est à relativiser, compte tenu du fait que les transports publics ne pouvaient travailler, lors de la première distribution de TF. De même, quelques témoignages relatent des cas de personnes identifiées comme assez aisées, mais qui ont pourtant bénéficié du tosika fameno (ex : une commerçante identifiée comme non spécialement vulnérable, mais faisant partie des bénéficiaires TF).

Soupçons de corruption

Près de 9% des bénéficiaires interrogés soupçonnent qu’il y a eu corruption dans la procédure d’enregistrement des bénéficiaires potentiels au niveau d’un Fokontany.

Dans près de 10% des FKT suivis, des observateurs témoignent que des formes de corruption ont eu lieu afin de permettre l’inscription frauduleuse de personnes parmi les bénéficiaires potentiels. En revanche, on relève dans 64% des FKT suivis que l’enregistrement de chaque ménage prétendant au TF est finalisé par un cachet sur un carnet ou un imprimé.

La manifestation de soupçon de corruption la plus citée par la population concerne la préférence accordée par les responsables au niveau des fokontany, à leurs proches (familles et amis).

Mécontentements et plaintes

Souvent, des manifestations de mécontentement émergent par rapport à ces listes de bénéficiaires, car beaucoup de personnes se sentant vulnérables sont déçus de ne pas faire partie de la liste des bénéficiaires. Dans le meilleur des cas, les responsables au niveau des Fokontany font remplir un formulaire aux plaignants et transmettent le dossier de ces derniers à l’Institution/PTF, qui s’est occupée de l’enquête préalable des bénéficiaires potentiels. Dans d’autres cas moins favorables, les responsables au niveau des FKT signifient aux plaignants qu’ils ne peuvent rien pour ces derniers car l’établissement de la liste des bénéficiaires était effectué par l’Institution ou PTF concerné.

Dans 11% des FKT observés, le mécontentement des personnes n’ayant pas pu bénéficier du TF a conduit ces dernières à déchirer l’affichage des listes de bénéficiaires.

Les plaintes de la population concernent aussi le manque de communication sur la mise en œuvre des enquêtes préalables. Il en est ainsi de cas de marchands au niveau de marchés et de lavandières, résidents dans le 1er arrondissement qui reprochent aux comités loharano de ne pas les avoir informés sur la mise en œuvre des enquêtes/inscriptions préalables en vue de bénéficier du TF.

Près de 28% des bénéficiaires interrogés n’ont pas connaissance de l’existence d’un système de gestion de plaintes relatif aux distributions de TF. Parallèlement, près de trois-quarts (76%) des FKT observés ont fait des sensibilisations sur les procédures de réclamation et de plainte. Ces mêmes proportions de FKT ont effectivement reçu les plaintes de la population.

Parmi ceux qui ont identifié un système de gestion de plaintes, 16,5% ont déposé une plainte.et environ la moitié de ces plaintes ont eu une suite. On a relevé des contestations dans 22 % des FKT observés. Ce taux monte même dans le 4ème arrondissement à 37% des FKT observés. Des incidents ayant entrainé des cas de blessures ont été observés dans 4% des FKT observés.

Les observateurs rapportent dans 26% des FKT que les membres de comités locaux FKT ont reçu des renforcements de capacités en matière de gestion de plaintes.

Inclusion

Dans 5% des Fokontany observés, on a constaté que certains bénéficiaires ont pu recevoir le TF sans présentation de carte d’identité. On rapporte aussi le cas d’un Fokontany (Ambatomainty, 5ème arrondissement) où des personnes non inscrites dans la liste de bénéficiaires ont pu bénéficier du TF.

Le taux de ménages bénéficiaires du TF avec une personne handicapée ou en situation de handicap est proche de l’estimation du taux de prévalence de personnes handicapées (7,5% selon l’enquête EDS de 2003). Les trois-quarts des ménages trouvent que les personnes âgées et les personnes avec handicap ont été prises en main ou priorisées lors des séances de distribution. Ces constats ont été renforcés par nos agents de suivi sur terrain qui ont observé l’inclusion de personnes handicapées parmi les bénéficiaires dans 74% des FKT suivis et, ont pu apercevoir l’inclusion des personnes âgées dans pratiquement tous les sites de distribution de TF.

Dans 13% des FKT observés, il a été rapporté que les personnes analphabètes n’ont pas pu être assistées quand il y avait besoin d’écrire.

Les ménages bénéficiaires témoignent qu’une faible proportion (4%) d’entre eux ont été victimes de mauvais traitements ou d’exclusion lors des séances de distribution.

Organisation

D’après les bénéficiaires, les principaux canaux utilisés pour communiquer la liste des bénéficiaires sont l’affichage (65%), le sms (38,6%) et le mégaphone ou la criée (10,2%). Parallèlement, on relève d’après les observateurs que 82% des FKT suivis ont affiché publiquement la liste des bénéficiaires.

L’organisation des séances de distributions de TF a été meilleure lors de la seconde vague selon le témoignage des observateurs. Lors de la première vague, l’éloignement des sites de distribution, combiné au fait que les bus ne pouvaient travailler, ont ajouté aux problèmes des bénéficiaires.

Les observateurs ont relevé que l’organisation des séances de distribution était mal organisée dans 17 % des FKT.

La présence des forces de l’ordre a contribué à la bonne marche des séances de distribution. Toutefois, dans de rares cas, ces forces de l’ordre n’ont pas toujours été présentes (16% des FKT observés).

Près de 80% des bénéficiaires de TF ont reçu le transfert deux fois. Les raisons pour lesquelles les 20 % restants n’ont pas reçu le TF une seconde fois, sont diverses (corrections, erreurs, …)

Les bénéficiaires de TF devaient en principe ne pas bénéficier des autres types d’aides sociales, pourtant 11% ont aussi reçu le « Vatsy tsinjo » et 3% ont reçu outre le TF, les tickets «sosialimbahoaka ».

Santé

Les gestes barrières ont été respectés par la grande majorité des personnes présentes dans les lieux de distributions de TF. Le taux de personnes les ayant respectés vont de 86,6% (distanciation physique), 95,4% (utilisation de gel hydro-alcoolique) à 97,2% (port du masque).

Dans 95% des FKT observés, des dispositifs de lavage des mains ont été mis en place au niveau des sites de distribution.

Les cas d’exclusion / discrimination à l’encontre de personnes soupçonnées d’être infectées par le covid-19, lors des distributions de TF, sont très rares (environ 1% des témoignages).

Impacts socioéconomiques modestes du Tosika Fameno (TF)

Moins de la moitié (39%) des bénéficiaires du TF s’attendaient à recevoir le TF.

Les ménages bénéficiaires ont principalement affecté l’argent du TF à l’alimentation (90%), au remboursement des dettes (20% des ménages) et à des dépenses courantes, comme le paiement de loyers ou des factures jirama (22% des ménages). Les dépenses destinées aux AGR ne concernent que 10% des ménages. Les AGR en question sont le plus souvent de très petites activités commerciales comme la vente de plats de manioc.

L’argent du TF a permis, le temps que c’était disponible, d’accroître le pourcentage de ménages qui prennent au moins 3 repas par jour (75% à 86% des ménages bénéficiaires). Grâce au TF, pour un certain temps, la quantité de l’alimentation a augmenté pour 31% des ménages. L’amélioration de la qualité de l’alimentation suite à l’obtention de TF concerne 42,6% des ménages.

Tableau : Profil de vulnérabilité des bénéficiaires

TF d’Antananarivo

© STEF

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